fort de Oualata. Ce changement de commandement,était-il une coïncidence avec la mort de Bâ Alassane Oumar, ou en était-il une conséquence? Quoiqu'il en soit, vers le 30 août 1988,le nouveau commandant du GR débarqua au fort de Oualata.Quand il pénétra dans notre salle, les premières mesures prisespar le lieutenant Oumar ould Boubacar furent de retirer les chaînes des pieds de tous ceux qui étaient malades et incapables de se mouvoir. Il fit aussi enlever les chaînes des pieds des détenus âgés: Ten Youssouf Gueye et DjigoTabssirou. Il ordonna que les lucarnes fermées avec du banco et des pierres pour cause de punition, depuis la nuit du 22 mars 1988 soient ouvertes. Nous lui exposâmes l'ensemble de nos problèmes notamment:
- La quantité et la qualité de l'alimentation.
- La prise en charge par nous-mêmes de la cuisson de nos repas.
- L'approvisionnement de l'infirmerie en médicaments.
- L'évacuation dans un centre hospitalier des malades dont
l'état est grave.Il s'engagea à résoudre tous les problèmes qui étaient de sonressort, à exposer à qui de droit ceux dont la solution ne dépendait pas de lui.
Le lieutenant Oumar ould Boubacar était un officier posé et très
respectable. Il nous écoutait avec beaucoup de patience et d'intérêt. Il nous parlait calmement et avec respect. Quand il s'engageait à résoudre un problème posé par nous, il le faisait vite et bien. Il se dégageait de sa personne et de son allure un mélange de bonté, de douceur et de maturité. L'homme avait beaucoup d'humanité et suscitait au premier contact sympathie et estime. L'officier était bien pénétré du sens de son devoir et s'en acquittait avec beaucoup d'intelligence. Il sut toujours être, à la fois, l'un et l'autre. Et cette dualité qu'il incarnait, il sut invariablement la traduire à merveille dans tous ses actes durant toute la période qu'il fit avec nous. Aussi ne mit-il pas de temps à conquérir nos cœurs. Il était basé à Nema mais nous avait promis d'être présent fréquemment au fort de Oualata. C'est ce qu'il fit. Et sa présence nous rassurait, nous ré-confortait. Jamais dans notre existence de détenus, un officier,sous-officier, ou garde, n'eut auprès de nous autant d'estime,d'affection qu'en avait eues le lieutenant Oumar ould Boubacar.
Il était aimé et respecté de presque tous les détenus du fort de Oualata,y compris des détenus de droit commun.
« .. .Vous n'allez pas laisser mourir comme un chien l'un des
hommes de culture de ce pays... »
Quand le lieutenant Oumar prit la gestion du fort de Oualata, le
mal était déjà fait. Il y avait déjà un mort. Et plusieurs détenus étaient gravement malades, tandis que les autres étaient squelettiques, affamés. Ten Youssouf Gueye, notre doyen qui souffrait depuis plusieurs jours déjà, voyait son état de santé s'empirer sérieusement.
Ten Youssouf Gueye était si souffrant que Bâ Mamadou Sidi
s'était entièrement disponibilisé pour être à son chevet et lui fournir les maigres soins dont il disposait. Nous avions obtenu qu'il soit mis dans un local libre, accolé à notre salle côté nord-est. Là, il pouvait trouver plus d'aération et de tranquillité. Il avait beaucoup maigri en peu de jours. Son visage était devenu hâve. Sa voix, forte et claire s'était presque éteinte. Il parlait avec beaucoup de peine et ses propos étaient entrecoupés par la douleur. Il était dans cet état quand le lieutenant Oumar ould Boubacar arriva au fort vers le 31 août 1988.
Bâ Mamadou Sidi avait installé Ten Youssouf Gueye dans la
cour du fort près de la porte d'entrée de notre salle. Il était près de18 heures. Le lieutenant Oumar vint vers Ten Youssouf Gueye
couché sur sa couverture. Il lui prit affectueusement la tête entre
ses mains, et comme pour être certain d'être bien entendu par lui,
se pencha sur son visage, le questionna sur sa santé. Image saisissante, émouvante, inoubliable: Ten Youssouf Gueye rassembla tout ce qu'il lui restait d'énergie, essaya de redonner à sa voix habituellement forte et claire, présentement tremblante, tout son tonus,et malgré la douleur qui se lisait sur son visage, et comme s'il avait conscience d'émettre sa dernière volonté, il voulut s'assurer que tous ses propos fussent entendus, articula aussi fort que le permettait son état, à l'intention du lieutenant Oumar toujours penché au-dessus de lui:
- Lieutenant Gumar, vous n'allez pas laisser mourir comme un
chien l'un des hommes de culture de ce pays?
Toujours penché au-dessus de lui, d'une voix émue, le lieutenant
Oumar lui répondit:
- Non tranquillisez-vous, tout sera fait pour que vous soyez évacué rapidement afin de bénéficier de soins appropriés.
Dans la même nuit, le lieutenant Gumar regagna Nema. Le lendemain 1cr septembre 1988,Ten Youssouf Gueye fut évacué à Nema à bord d'une voiture Land Rover de la garde. Malheureusement,quand il y arriva, le lieutenant Gumar était en mission d'inspection dans la région de Nema. Le wali était, lui aussi, absent de Nema. Par rapport au cas du détenu Ten Youssouf Gueye, il y avait une sorte de vacance de pouvoir. Ces deux autorités semblaient être les seules habilitées à décider de l'hospitalisation deTen Youssouyf Gueye. Puisque tous les autres responsables (préfet,gouverneur adjoint), refusèrent de prendre la responsabilité de son hospitalisation. Conséquence tragique d'une telle vacance de pouvoir et du refus des responsables administratifs sur place d'engager leur responsabilité: Ten Youssouf Gueye agonisant, évacué d'un fort-mouroir pour être hospitalisé, se retrouva, malgré son état,dans la prison des détenus de droit commun de Nema. C'est dans cette prison qu'il expira dans la nuit du 2 septembre 1988. Sans sépulture, il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Nema. Telle fut la fin de l'un des plus prestigieux écrivains et hommes de
(Extrait de "J´ÉTAIS À OUALATA- Le racisme d´Etat en Mauritanie"- BOYE Alassane Harouna- Préface par Samba Thiam. (pages 130-132) culture de la Mauritanie."
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